LES CHANTS YIDDISH

La douce voix d'une femme… peut rétablir une bonne disposition dans l'esprit d'un homme.
Rashi, commentaire du Talmud de Babylone, Berakhot 57b (~1100)

Chez les juifs, la tradition du chant remonte aux temps bibliques, ne serait-ce que dans son usage liturgique. Toutefois, c’est dans la diaspora que le chant profane a acquis une ampleur et surtout une diversité liée aux influences culturelles et musicales des divers peuples avec lesquels les juifs ont été -de gré ou de force- en contact: slaves, grecs, turcs et tsiganes en Europe de l’Est (où les ashkénazes parlaient et chantaient surtout en yiddish); espagnols pour les séfarades (dont la langue était le judéo-espagnol ou ladino ou khaketia); arabes et yéménites pour les "mizrakhim" (orientaux). L’influence américaine et le folklore israélien sont plus récents mais non moins considérables!

Durant les siècles passés, les shabbats, les fêtes religieuses, les mariages et les circoncisions étaient autant d’occasions pour les habitants du "shtetl" et du ghetto de se réunir et d’oublier en chantant les persécutions et la misère.

Les "hassidim" (juifs pieux) considéraient les mélodies, à l'instar des âmes, comme d'essence divine (Eliyahu Schleifer). Bien plus que les paroles, la musique faisait le lien entre la pratique religieuse stricte et l’intense vie communautaire. Le "nigun" était une mélodie simple, souvent joyeuse, destinée à être reprise ne choeur et dont les paroles étaient le plus souvent réduites à des onomatopées: les hassidim de Galicie (Modzitz, Ger, Bobov) utilisaient des sons "typiques" comme Bim-Bam, Ya-Ba-Bam, Dai-Dam (particulièrement Bim-Bom vers Moditz et Yadi-Yadi à Ger); ceux de Lubavitch préfèraient les consonnances plus liquides comme Na-Na-Na, Ni-Nam, Ma-Ma-Ma ou Oy-Yoy; alors que ceux de Hongrie et des Carpathes avaient une expression plus tragique avec de nombreux Oy-Oy et Doy-Doy... (Henry Sapoznik, Sam Weiss).

L'origine des chants yiddish est le "purimshpil", précurseur du théâtre yiddish. Il s'agit d'un répertoire joué et chanté traditionnellement lors de la fête de Purim qui commémore la libération des juifs de Perse par la reine Esther. La mise en musique de textes profanes en yiddish est plus récente et liée à l'intense développement culturel (en particulier littéraire et théâtral) qu'a connu le "yiddishland" depuis le 18ème siècle.

Les auteurs et compositeurs anciens sont, pour la plupart, inconnus. Leurs chansons, transmises oralement, étaient interprétées en public par des hommes mais, la loi religieuse "Kol Isha" (voix de femme, en hébreu) interdisant aux femmes de chanter devant un public d'hommes par crainte de les détourner de leurs devoirs, c'est dans l'intimité que les mères les chantaient à leurs enfants: berceuses, chants de piété et de foi, évoquant les joies et les peines de la vie quotidienne, faisant l'éloge de la tradition juive, contes moraux, rêveries nostalgiques…

Les mouvements sociaux et politiques tels que la Haskala et le Bund ont fait apparaître des thèmes nouveaux: les luttes, les espoirs, les revendications contre l'injustice et les conditions de vie difficiles, l'aspiration à la liberté, le rôle des femmes…

C’est seulement au 19ème siècle, sous l’influence d’un courant de libéralisation, qu’on voit apparaître des chansons d’amour: passion, jalousie, attente, séparation sont des thèmes fréquents mais l’érotisme reste le plus souvent sous-entendu: "tra-la-la-la" ! Pour mesurer l'ampleur du phénomène, imaginez que le nombre d'enregistrements de chansons yiddish en 78 tours entre 1898 et 1956 aux USA et en Europe a été évalué à 14'500! (Mike Aylward)

Il va de soi que les grandes vagues d'émigration à la fin du 19ème siècle, la Shoah ainsi que les espoirs et désespoirs amenés par le régime soviétique ont encore ajouté quelques thèmes au patrimoine chanté du peuple juif.

 

Gebirtig.jpg (6055 octets)  Mordkhe Gebirtig
Auteur-compositeur yiddish
Cracovie 1877-1942

Les auteurs et compositeurs "modernes" sont nombreux et bien connus: Aaron Zeitlin, Mordekhaï Gebirtig (1877-1942), Shalom Secunda, Hermann Yablokoff (1902-1981), Abraham Olshanetsky, Itsik Manger (1901-1969), Abraham Ellstein, Jacob Jacobs, Hirsh Glik (1922-1944), Avrom Goldfaden (1840-1908) ou Mark Warshawski (1848-1907) ne devraient pas reléguer dans l’oubli les innombrables autres créateurs, même contemporains comme Michael Alpert, Jacques Grober ou Beyle Schaechter-Gottesman. Tous ont en commun d’avoir su transmettre dans leurs œuvres les émotions de l’âme juive avec la puissance de leur verbe et la magie de leur musique.

Parce qu'une fois dite (et chantée !), la douleur est moins terrible... Et parce que la chanson, c'est ce qui reste quand on a tout oublié. (Astrid Ruff)

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Dernière mise à jour: 21.12.2007

 

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